Ingénieurs : Pourquoi déconstruire les stéréotypes est un enjeu pour féminiser le métier ?
L’ingénierie ne doit pas avoir qu’un seul visage. Marqué par une sous-représentation des femmes qui représentent uniquement 24 %, le métier fait face à un défi pour diversifier ses profils. Du parcours scolaire au choix d’orientation, en passant par l’environnement et l’accompagnement, ce sont divers paramètres qui sont concernés pour permettre d’atteindre la parité. Lors de la table ronde organisée à l’EPF Paris-Cachan sur le thème "Femmes ingénieurs : un enjeu clé pour la profession et la société", les intervenantes Sabine Lunel-Suzanne, Directrice Projets et Transformation chez Bouygues Énergies et Services et Vice-Présidente d’Elles bougent, Emmanuelle Larroque, présidente et fondatrice de Social Builder, et Justine Pelisson, responsable stratégie produit et programme Futura chez StudiAva, ont débattu sur les solutions en faveur des femmes dans l’ingénierie.
Apprentissage des mathématiques : lutter contre les stéréotypes
Les compétences développées de la primaire au lycée ont un impact sur les choix d’orientation postbac. En première année d’études supérieures, les femmes sont seulement 25% à suivre des études de mathématiques, physique-chimie, informatique et sciences de l’ingénieur, indique le rapport "Filles et mathématiques : lutter contre les stéréotypes, ouvrir le champ des possibles" publié en février 2025. Un chiffre qui a pour conséquence de sous-représenter les femmes parmi les métiers liés à ces domaines. Mais quelles sont les raisons de ce phénomène ?
Si un écart de niveau en mathématiques entre les filles et les garçons apparaît dès le CP, il s’explique par un impact "psychologique et sociologique", indique le rapport. Les travaux menés par le Conseil scientifique de l’Éducation nationale montrent que les différences de performance sont corrélées à la scolarisation, et non à l’âge. Les stéréotypes de genre apparaissent comme la cause principale qui pousse les filles à se détourner des matières scientifiques : "De façon très simplifiée, cette baisse de performance provient du fait que le cerveau est perturbé par la contradiction apparente entre l’objectif ("je dois réussir l’examen") et le stéréotype à travers lequel celui-ci interprète la réalité ("une femme ne peut pas réussir un examen en mathématiques"). Ces stéréotypes poussent ainsi les filles à sous-évaluer leur niveau en mathématiques, ce qui impacte ensuite comment elles vont estimer leurs chances de réussite dans les études scientifiques et technologiques, souligne le rapport.
"Toutes les activités n’emmènent pas sur les mêmes environnements, les mêmes envies, et sentiments de compétences. L’immersion commence par les activités extrascolaires dans les foyers où l’on ne développe pas les mêmes assurances par rapport à la logique, à l’exercice de construction, au rapport au corps, à la compétition, selon ce que l’on pratique", a souligné Justine Pelisson lors de la table ronde, sur les conséquences de l’éducation apportée aux filles.
Revoir les systèmes de sélection : le pari du ParityLab
Cette barrière, créée par les stéréotypes, "irrigue des mécanismes et des systèmes de sélection" qui influencent les aspirations, a souligné Emmanuelle Larroque. Alors que les femmes se dirigent vers "des filières très compétitives comme la magistrature et la médecine, elles évitent la compétition dans des environnements qui sont très masculins et liés aux sciences parce qu’il y a un stéréotype qui colle à la peau". "Les mathématiques sont vues comme la discipline de l’excellence, et sont associées aux hommes pour tout un tas de raisons", a rappelé Emmanuelle Larroque en établissant le lien avec la présence des mathématiques dans les concours d’écoles d’ingénieurs. Alors que les filles sont 34 % à choisir les mathématiques en enseignement de spécialité en terminale générale contre 58 % des garçons, selon une étude du ministère de l’Education publiée en mars 2025, l’évaluation des maths lors des épreuves a un impact sur les choix d’orientation. "On se rend compte que le système est biaisé et que les femmes peuvent difficilement rentrer en école d’ingénieurs", a souligné Emmanuelle Larroque.
En réponse à cette problématique, le ParityLab lancé à la rentrée 2025 à l’EPF, propose une voie de recrutement réservée aux femmes avec un processus de sélection non-compétitif basé sur l’évaluation de compétences. "Avec cette alternative aux concours, on touche à l’idée que l’on peut très bien sélectionner des jeunes brillants qui, pour X raison, n’auraient pas choisi les bonnes options et qui ont envie de faire de l’ingénierie. On se donne ici les moyens d’aller identifier des jeunes sur un système de sélection qui est tout aussi robuste, mais qui n’est pas basé sur les maths", a analysé Emmanuelle Larroque.
La mise en place du ParityLab contribue ainsi à lever des barrières pour rendre la filière de l’ingénierie plus accessible à différents profils de jeunes femmes. Une action qui fait écho à l’un des objectifs de l’Année de l’ingénierie 2025-2026 pilotée par le CNRS et l’Académie des technologies, qui vise à "lutter contre les stéréotypes, agir pour l’inclusion et l’égalité des chances dans le monde de l’ingénierie".
Se projeter dans l’ingénierie avec des rôles modèles
Pour amener les filles à se tourner davantage vers les métiers de l’ingénierie, la projection est aussi un facteur essentiel. Pour Justine Pelisson, les entreprises ont leur rôle à jouer en mettant en avant des rôles modèles. "Pour élargir les viviers de recrutement, il faut élargir les profils que l’on met en avant", afin de montrer différents parcours et d’être accessible à différents profils. "Les entreprises doivent tenir un discours transformateur pour dire qu’aujourd’hui l’ingénieur n’a pas un parcours type, il n’y a pas une seule façon d’être ingénieur." Ces rencontres avec des professionnelles qui montrent qu’il est possible d’être ingénieur avec différentes trajectoires, permettent d’envoyer un message fort pour susciter des vocations. Et apporter un visage inclusif à l’ingénierie.